ANALYSE DU PROJET DE RENOUVELLEMENT DE L’ORGANE CHEF DU CULTE

Projet  proposé par la Commission de renouvellement de l’EMB mise sur pied par l’Exécutif des Musulmans de Belgique et analysé par l'ADMB

I. INTRODUCTION

Actuellement tous les membres de l’actuel Exécutif, les autorités de tutelle et les musulmans de la société civile s’accordent sur la nécessité de renouveler cet Organe. Pour y parvenir plusieurs modes opératoires ont été envisagés :

1. Les élections libres (durant une période transitoire pour certains)


2. Les délégations uniquement par les fédérations et les unions des mosquées


3. Une solution médiane où chaque entité (mosquée, enseignants de religion, aumôniers, associations,…) désigne par élection interne ou simple délégation un représentant.

Devant ces propositions, le ministre de la justice a demandé aux membres de l’Exécutif d’organiser une concertation afin de dégager une option qui fasse le consensus des communautés concernées.

Quatre concertations intitulées « journées de réflexion » ont été organisées le 24 Janvier, le 28 Mars, le 24 Mai et le 20 Juin 2009. Ces journées de réflexion ont été clôturées par un colloque qui s’est tenu à Bruxelles, le 5 décembre 2009. Sur base de ces concertations les membres de la commission de renouvellement ont présenté un projet au ministre de la justice au mois de Mai.

Etant « partie prenante » (consultée) du projet de renouvellement de l’Exécutif des Musulmans de Belgique et ayant déjà auparavant signalé un certain dysfonctionnement de cette concertation, nous allons essayer de montrer que ce projet mal conçu (parce qu’il est mal concerté) ne reflète pas les réalités rencontrées dans les concertations et ne tient pas compte des recommandations des acteurs conviés pour donner leurs avis sur le renouvellement de l’Exécutif des Musulmans de Belgique.

Etant donné que ces concertations devraient être le lieu de conception par excellence du projet de renouvellement de l’exécutif des musulmans, nous allons analyser en profondeur ces concertations afin d’examiner ce qui y est dit, comment on a tenu compte des souhaits et de la volonté des participants, s’il est possible d’y repérer des points communs ou des divergences, comment la capitalisation des concertations a pu justifier les choix des options choisies dans le projet présenté aux autorités.

Cette analyse se fera sur base de notre propre témoignage en tant qu’invité à deux de ces journées de réflexion, sur base d’autres témoins présents, sur base des procès verbaux de toutes ces réunions, sur le témoignage de certains membres de la commission de renouvellement et de la direction de l’Exécutif. Cette démarche se fera, bien entendu, dans un esprit critique constructif afin de proposer des améliorations et des recommandations pour un projet qui aura comme vocation de satisfaire le plus grand nombre possible de parties prenantes de la communauté musulmane.

Nous considérons que la meilleure formule qui puisse satisfaire toutes les composantes des communautés musulmanes, est celle qui aura comme tâche de concilier les différentes positions en trouvant le point commun qui peut faire dégager un consensus. Avant de proposer cette formule nous allons dans un premier temps répertorier tous les problèmes responsables de la paralysie de l’institution évoqués lors des concertations et explorer les solutions qui sont proposées pour vérifier enfin si dans le projet proposé il y a une relation de causalité entre les problèmes évoqués et les solutions proposées et s’il contient des objectifs précis dans ce sens. Nous considérons que ce sont ces objectifs qui peuvent influencer le type de structuration de cet organe, et que si cette relation problèmes /solutions/objectifs n’est pas bien élaborée, la future structure sera inadéquate. Dans un second temps nous allons reprendre les différentes propositions de renouvellement débattues dans les concertations, les analyser afin de faire ressortir ce qu’elles contiennent comme constats, souhaits, recommandations et objectifs et toutes les déclarations des participants. Le but est d’explorer en profondeur toutes ces discussions pour y trouver un éventuel terrain d’entente ou un éventuel compromis et à défaut proposer quelques recommandations pour remédier à ce manque de consensus.

La meilleure méthode à notre sens qui peut être acceptée par un grand nombre de parties prenantes pour dresser un tel diagnostic des problèmes constatés dans cette institution est de nous référer aux déclarations des acteurs qui ont participé aux quatre réunions des concertations et au dernier colloque. De cette façon nous allons être le plus objectif possible vu que les procès verbaux de ces discussions sont consultables et à la portée de tous pour vérifier la teneur de nos propos.

II. ANALYSE DES CONCERTATIONS

Selon les procès verbaux des concertations qui ont été organisées sous forme de réunions de réflexion, les invités devaient intervenir soit oralement soit par écrit. Le thème de discussion évoqué était « Représentativité de l’islam en Belgique : quelles perspectives d’avenir ? (renouvellement, structure…) ».

1. Un choix sélectif pour concerter

La première observation que nous avons pu faire en analysant ces concertations c’est que le mode opératoire des membres de la commission de renouvellement pour préparer les invitations des acteurs aura une forte influence sur le déroulement des événements postérieurs. A titre d’exemple, dans les lettres d’invitations on retrouve souvent les mêmes invités ce qui aura une incidence sur les tournures de événements.

La deuxième observation est la forte présence des représentants de la Diyanet dans presque toutes les concertations et une trop faible présence des représentants des mosquées qui ne sont pas attachées à des unions ou fédérations. Enfin une présence symbolique des autres acteurs pourtant directement concernées comme les aumôniers, les professeurs de religion islamique les imams, et des acteurs associatifs, des personnes converties, des femmes, et des jeunes.

La troisième observation consiste à mettre en évidence les tendances qui se sont dégagées dans ces concertations quant à la modalité de renouvellement :

- La plupart des intervenants qui se sont prononcés sur l’option de renouvellement sollicitaient les élections sans préciser leurs modalités et leur portée.


- Une minorité sollicitait un système de délégation (Diyanet, fédération mosquées albanaises de Belgique)


- Une forte demande de la part des unions des mosquées pour un élargissement de la commission

2. L’élargissement de la commission

La forte présence planifiée des représentants de la Diyanet, de certaines unions et fédérations des mosquées dans ces concertations a créé fait une sorte de pression sur les membres de l’EMB pour élargir la commission à ces représentants et provoquer ainsi le départ ou l’exclusion de certains anciens membres (dont certains font partie de la direction de l’EMB).

Quand on parcourt la liste des membres de la nouvelle commission élargie, nous constatons les faits suivants :

- Une surreprésentation de certains groupes comme la Diyanet qui a deux représentants, la fédération Islamique de Belgique trois représentants, l’union des centres culturels islamiques de Belgique trois représentants, les unions des mosquées de la région de Bruxelles trois représentants.

- Une sous-représentation des entités de Flandre

- Aucune représentation du Centre Islamique et Culturel de Belgique

- Il n’y a aucun converti ni femme

- L’absence totale des associations à part une seule récemment créée et dont nous ignorons à ce stade le genre d’activités concrètes dont elle s’occupe. Cette association est « le Rassemblement des Musulmans de Belgique »

Nous devons constater que cet élargissement ne s’est opéré qu’à la fin des concertations. Ceux qui ont intégré cette commission élargie sont ceux qui ont illustré les réunions par leur discours et leur insistance à intégrer la commission sans évoquer les véritables raisons de leur demande. Cela nous amène à nous interroger sur le mobile de vouloir demander une commission élargie tout en sachant que la raison d’être de celle-ci est de poursuivre les concertations avec encore plus de transparence et d’élargissement à d’autres acteurs.

3. La méthodologie de travail de la Commission

Comme nous l’avons évoqué plus haut la thématique proposée aux candidats était « Représentativité de l’islam en Belgique : quelles perspectives d’avenir ? (renouvellement, structure… ». Cette question difficile posée aux participants ne pouvait pas avoir des réponses chez tout le monde. Ainsi quand on analyse les interventions des participants, ceux qui ont formulé des réponses claires sont, très peu nombreux, ceux qui ont compris de quoi il s’agit, conscients des enjeux étaient déjà impliqués dans le processus de l’institutionnalisation de l’islam. C’est-à-dire qu’il n’y avait pas eu d’interpellation quant à la manière de trouver un consensus autours des modalités de renouvellements. La majorité des participants, soit ne sont pas intervenus du tout, soit sont intervenus par écrit, soit n’ont donné aucune réponse démontrant qu’ils ont compris l’enjeu.

Ainsi on a laissé les intervenants libres d’évoquer ou non l’option à choisir pour renouveler l’Exécutif. Dans la réunion à laquelle nous avons assisté, presque la majorité des intervenants ont pointé du doigt la gestion et le dysfonctionnement de la structure.

Un questionnaire envoyé aux mosquées pour leur demander de choisir entre les trois options pour renouveler l’Exécutif aurait pu nous éclairer sur la grande tendance qui se dégagerait mais aucune information n’a pu être donnée quant à ce sondage.

Il faut noter un dysfonctionnement d’ordre méthodologique concernant le colloque du 5 décembre. Celui-ci, censé réunir tous les acteurs qui ont été consultés d’une manière ciblée pour trouver un terrain d’entente sur les modalités de renouvellement, n’a pu réunir que très peu de participants. Le peu d’invitations (voir pv du colloque), une vingtaine au total explique la faible présence des participants.

Enfin le plan d’action n’a pas été suivi comme il était convenu de le faire. Il était prévu dans ce plan d’organiser pendant le grand colloque une confrontation des arguments de projets, débats, tables rondes et ateliers. Ce colloque serait suivi par « une journée de réflexion : synthèse, comparaison de projets proposés : invitations d’anciens présidents et personnes ressources »

4. Analyse des interventions

Il est utile de rappeler d’après ce qui est démontré plus loin que l’évolution de la composition de la commission de renouvellement influencera fortement le contenu du discours des intervenants et les décisions qui vont être prises.

4.1. Les problèmes de l’Exécutif évoqués par les participants

La perception des participants des problèmes de l’Exécutif est proportionnelle au degré de leur engagement dans le processus de l’institutionnalisation. La problématisation de la question de l’institutionnalisation n’a pas été effectuée de manière à susciter des questions pertinentes, mais la thématique proposée (représentativité de l’islam en Belgique : quelle perspective d’avenir ?...) a laissé le libre choix aux participants d’évoquer des problèmes liés à l’institution de l’Exécutif ou proposer des alternatives. Nous pouvions légitimement penser que l’expérience de plusieurs années du processus d’institutionnalisation aurait pu faire, avant d’entamer les concertations, l’objet d’une étude et d’une évaluation pour clarifier la situation et dégager ainsi au mieux la problématique pour qu’on puisse proposer des pistes pertinentes. Il faut admettre que malgré le problème méthodologique de ces concertations, et une capitalisation déficitaire voir manquante des informations produites sur le terrain, nous pouvons tout de même proposer une analyse des interventions des participants dans le but d’avoir une lecture lucide des événements afin d’aider pour une conception intelligente et participative du projet.

Nous avons pu relever plusieurs types de problèmes évoqués par les participants appelés dans le rapport « points négatifs ».

Avant de synthétiser ces problèmes il faut souligner un consensus de départ entre tous les participants quant à deux éléments :

- Une reconnaissance « des efforts fournis par la communauté musulmane dès les premières années pour mettre sur pied une structure la représentant » et ils s’accordent tous pour préserver ces acquis.

- Une nécessité absolue de renouveler la structure de l’Exécutif

Les problèmes énumérés par les participants peuvent être répertoriés en problèmes internes et en problèmes externes à l’institution.

- les problèmes internes à l’institution  :

1. problèmes relationnels : « tension entre élus », « manque de confiance entre les musulmans »


2. Problèmes de compétences : « incompétence totale… » « Lacunes dans les domaines de la formation, du suivi, etc. »


3. Manque de représentativité


4. La dépendance financière

- Les problèmes externes à l’institution

1. Ingérence : influence de l’Etat belge et des Etats étrangers, influence politique.

2. Manque de légitimité envers la base

3 Discrédit jeté sur les anciens dirigeants (problèmes judiciaires)

4.2. Les solutions proposées par les participants

Nous allons examiner les solutions proposées aux différentes problématiques évoquées ci-dessus et comment ces solutions ont été (ou auraient pu être) utilisées par les membres de la commission pour fixer les objectifs du projet. Avant d’examiner ces solutions citons-les comme elles ont été indiquées dans le rapport des concertations.

« Conseils / solutions / idées pour l’avenir


 Respect de l’équilibre linguistique (Fr/Nl) dans un cadre unitaire – tenir compte des spécificités de la société belge – assurer la représentativité

 Critères stricts pour le choix des candidats : mettre l'accent sur les compétences et/ou diplômes, la connaissance d’une des langues nationales, et vérifier le niveau de moralité (screening interne pour vérifier l'adhérence réelle à l'Islam)

 Éviter de faire appel à des personnes qui ont un mandat politique et à celles qui sont impliquées dans les problèmes du passé

 Mandat limité

 Présidence tournante

 Structure à créer à part « la Plateforme Citoyenne des Musulmans de Belgique » pour défendre les intérêts des musulmans d’une manière indépendante.

 Plus de transparence et de respect mutuel

 Le nombre des membres de l’AG devrait diminuer

 La diversité: tenir compte des femmes, jeunes, convertis, autres nationalités

 Besoin d’un nouveau leadership

 Participation féminine à encourager

 Indépendance financière et étatique- une indépendance intellectuelle par rapport aux pays d’origine ; mais certains insistent sur de bons contacts avec ces autorités

 La diversité des points de vue à sauvegarder en se concentrant sur l'aspect positif de cette diversité

 Respect pour les personnes en fonction de leur titre (les représentants)

 Contacts informels très importants / garder un contact permanent avec la communauté musulmane

 Rencontre périodique avec les représentants des entités (mosquées, enseignants, etc.…)

 Les personnes âgées devraient être écoutées

 Une charte est à établir

 Développement d’un Islam de Belgique

Souhaits / objectifs

o Consultation mutuelle, aller vers une cohésion.
o Un travail dans l'intérêt des musulmans
o Une institution stable et qui réponde aux attentes de la communauté musulmane
o Communication directe avec la base
o Droits acquis sont à préserver

Accent sur l'union, la confiance et la crédibilité

4.2.1. Les recommandations

o Abandon de la catégorisation des candidats (basée sur la nationalité, l’origine, etc.), mais certains sont d’avis qu’elle reste inévitable

o Abandon de l’exigence de représentativité, mais certains sont d’avis qu’elle reste inévitable

o Abandon du screening

o Recentrage de l’Institution sur ses missions et prérogatives administratives de service public musulman (mosquées/imams ; enseignement de la religion islamique; affaires sociales (aumônerie, cimetières, Ramadan)

o Séparation des pouvoirs, préconiser la séparation entre le cultuel et le temporel

o Révision du système de représentation

o Participation active des femmes et des jeunes

O Soutien juridique - faire valoir les droits sur le plan législatif »

Etant donné l’absence de débats, d’ateliers et de tables rondes, on n’a pas pu formaliser au mieux les problèmes évoqués plus haut pour cibler les solutions les plus pertinentes et décliner celles-ci en objectifs.

A titre d’exemple pour les problèmes internes et externes évoqués plus haut, les participants ont envisagé des solutions que nous avons répertoriées.

Problèmes évoqués pendant les concertations solutions (résultats) proposées par les participants objectifs élaborés par les participants ou la commission activités proposées par les participants pour atteindre ces objectifs

1. Les problèmes relationnels : tensions, conflits, etc. Une charte de bonne conduite,

plus de transparence et de respect.

2. Problèmes de compétences
3. Manque de représentativité et de diversité assurer la représentativité, révision de représentativité, participation active des femmes et des jeunes.

4. Ingérence  - Abandon de screening, Indépendance financière et étatique,

5. Manque de légitimité - Besoin d’un nouveau leadership, garder le contact avec la base, rencontre périodique avec les représentants des entités (mosquées, enseignants, etc.), un islam de Belgique, besoin d’un nouveau leadership.

6. Discrédit jeté sur les anciens dirigeants

A la lecture de ce qui précéde,  tous les problèmes soulevés par les participants ainsi que les solutions qu’ils ont proposées n’ont pas fait l’objet de traitement de la part de la commission hormis le problème de représentativité.

Ainsi dans le rapport du projet présenté au ministre, le problème de représentativité est le seul problème qui a fait l’objet d’un développement relatif par rapport à d’autres problèmes qui sont minimisés. Pourtant d’après les intervenants, les problèmes ne sont pas simplement d’ordre structurel mais aussi d’ordre fonctionnel. Ce problème de représentativité, nous devons encore le rappeler, n’a pas fait l’objet d’un débat pour avoir une idée précise et consensuelle de cette notion afin de dégager des objectifs et les activités précises (moyens) à mettre en œuvre. On a préféré laisser la notion de « représentativité » sous forme implicite et décider d’une façon unilatérale des activités (la délégation à partir des mosquées) qu’il faut mettre en œuvre pour assurer cette représentativité non explicitée et imposée. On a ainsi proposé d’une manière arbitraire une méthode de renouvellement sans que celle-ci soit approuvée ni validée par les parties prenantes comme nous allons le montrer dans le chapitre qui suit.

Enfin, il y a certaines recommandations formulées par quelques intervenants mais qui restent très minoritaires comme l’« abandon de catégorisation des candidats » et « abandon de l’exigence de représentativité » et quand on parcourt la liste de tous les problèmes que les intervenants ont formulés, la citation de « la catégorisation » ou « la représentativité » comme sources de problèmes reste très marginale.

4.2.2. Proposition de méthodes de renouvellement

La plupart des intervenants qui se sont prononcés sur l’option de renouvellement ont suggéré des élections au sein des mosquées, certains ont proposé des élections générales comme en 1998 et certains y ont ajouté d’autres groupements comme les professeurs de religion islamiques et des aumôniers. Mais aucune question n’a été soulevée quant aux modalités précises de ces élections laissant cette proposition sujette à l’interprétation de chacun. Cette tendance est fortement remarquée chez les représentants des unions des mosquées marocaines, chez les anciens dirigeants de l’EMB et d’autres acteurs. Quant au système de délégation, c’est une option défendue par les représentants de la Diyanet, par la fédération islamique de Belgique et l’union des centres culturels islamiques de Belgique. Enfin les autres entités comme le centre islamique et culturel de Belgique, certains acteurs et imams, par souci de sauvegarder un leadership, ne se sont pas prononcés sur l’option de renouvellement préférant éviter les controverses et proposer un discours plus fédérateur.

A ce stade des concertations il s’est dégagé quatre tendances quant à l’option de renouvellement :

1. Ceux qui ont opté pour les élections uniquement dans les mosquées ou bien pour une solution médiane où chaque entité (mosquée, professeurs de religion, aumônier) organise une élection interne

2. Ceux qui ont opté pour les élections générales

3. Ceux qui ont opté pour un système de délégation

4. Ceux qui sont indécis

Si nous devons caractériser ces tendances, nous devons signaler que la première option est majoritairement défendue par les représentants des unions des mosquées marocaines. Nous pouvons suggérer l’hypothèse selon laquelle cette position peut être expliquée par le désir de sauvegarder un certain leadership en voie de structuration et l’utilisation d’une institution de « prestige » tel que l’Exécutif serait un moyen de renforcer encore ce leadership et de s’assurer un ancrage dans la communauté. On ne veut pas prendre un risque de remettre ce leadership en question par l’organisation des élections générales.

La deuxième option est défendue par des personnes qui se verraient écartées par la première ou la troisième option, et par ceux qui reprochent à l’Exécutif un dysfonctionnement grave. Pour un corps malade il faut un traitement de choc, selon ceux qui veulent créer des conditions nécessaires afin d’empêcher la prédominance d’un islam contrôlé de l’extérieur. Enfin, il y a ceux qui se sont déjà imposés en leadership local légitimé par un travail de proximité et qui ne voudraient pas que ce leadership soit récupéré par d’autres entités et qui souhaiteraient un minimum de reconnaissance.

Le système de délégation est défendu par les mosquées turques et albanaises et ce choix se comprend par le fait que ces communautés musulmanes sont fortement structurées et que leurs membres sont difficilement mobilisables pour s’engager dans une entreprise dont elles ne perçoivent pas trop l’intérêt. Le système de délégation serait pour les représentants de ces communautés doublement avantageux : sauvegarder l’équilibre des acquis structurels et fonctionnels des communautés et maintenir voir renforcer l’ancrage et l’équilibre du leadership actuel. Les élections seraient une prise de risque considérable qui viendraient bousculer cet équilibre.

Enfin, les intervenants qui n’ont pas choisi une option soit par crainte de froisser certaines sensibilités soit parce qu’ils veulent garder un certain leadership ou qu’ils n’ont tout simplement pas d’avis parce qu’ils ne saisissent pas véritablement l’enjeu.

A partir de ces constations quant aux modalités de renouvellement qui peuvent être vérifiées dans les procès verbaux des concertations, nous pouvons conclure qu’il n’y aucun élément objectif qui peut justifier un choix ou une orientation dans les modalités de renouvellement. Or cette décision cruciale, qui doit être prise au cœur même des concertations, est un élément majeur du projet qui doit être présenté au ministre.

Dans le chapitre suivant, l’analyse du projet présenté nous permettra de voir comment les déclarations des participants aux concertations ont été traduites dans la programmation, s’il y a une relation de causalité entre les problèmes identifiés pendant les concertations et les solutions proposées dans le projet et enfin vérifier si ce sont ces solutions mêmes qui ont été traduites en objectifs du projet.

II. Le projet de renouvellement de l’Organe Représentatif du Culte Musulman en Belgique

Le chapitre le plus important du rapport présenté au ministre consacre onze paragraphes dont cinq ne sont pas encore rédigés par la commission et sont en voie de préparation. Les six autres, sur lesquels le ministre aurait donné son approbation sur la forme sont les suivants :

1. Rôle et mandat de l’Organe-Chef du culte islamique

2. Représentation à partir des institutions mosquées

3. Composition de l’organe représentatif du culte musulman en Belgique

4. Critère de désignation des membres

5. Modalité de passage d’un organe à l’autre

6. Commission chargée de l’accompagnement de la mise en place de l’Organe Représentatif du Culte Musulman en Belgique

Nous allons analyser les seuls points qui sont développés dans le projet à savoir les points 1, 2, 3, 4, 5 et 6 pour essayer de les comprendre, vérifier s’ils correspondent aux conclusions des concertations et proposer le cas échéant une meilleure formule qui serait la plus proche possible des souhaits et des recommandations des acteurs concertés dans le projet alternatif.

1. Rôle et mandat de l’Organe-Chef du culte islamique

Le rôle de l’organe chef du culte se limite à la représentation des communautés islamiques reconnues, et à la gestion du temporel du culte.

-« La représentation à partir des institutions mosquées »

Ce premier point qui traite de la représentation montre clairement la décision de la commission de choisir l’option de renouvellement à savoir un modèle de représentation par un système de délégation. Cette décision a été prise sans tenir compte des conclusions des rapports des concertations. Ainsi dans le paragraphe 4 du rapport de synthèse des travaux de concertation on lit :

« 4) Propositions de méthodes de renouvellement

Par élections générales (certains demandent qu’on en revoie les modalités)

 Points positifs :

o Aptitude de la communauté musulmane à organiser des élections

o Système plus démocratique et plus représentatif

 Points négatifs :

o Les élections n'ont pas permis à la communauté musulmane d'être à l'abri de l'influence du monde politique

o Inégalité avec les autres cultes qui ne connaissent pas le système d’élection

o Imposition de quota inconstitutionnels d’immigration lors des élections – état actuel de l’institution / la communauté est balkanisée, fragmentée, ethnicisée

o Difficultés de constituer des registres pour les élections/peu de participation

o Manque de maturité de la communauté musulmane / Manque de critères établis pour les candidats (compétence etc.)

o Focalisation sur l'ethnicité


Par un système de délégation par les Unions et les Fédérations de mosquées : l’instance représentative doit être constituée de délégués désignés par les communautés locales reconnues (mosquées)

 Points positifs :

o On éviterait les problèmes liés aux élections

o Les mosquées constituent la base de la communauté musulmane - les représentants des mosquées peuvent constituer une base aussi forte que s’il y avait des élections


 Points négatifs :

o Il y a très peu d’institutions représentatives musulmanes en Belgique qui ont un poids

o Les seules instances existantes sont téléguidées par des instances étrangères

o La représentativité n’est pas garantie par les délégations

o Exclusion des femmes, des minorités et des associations par ce système


Solution médiane :

chaque entité (mosquées, enseignants, associations, aumôniers) organise une élection interne qui aboutira à une délégation qui la représentera, ou désigne directement ses représentants »

Ainsi donc les trois options pour renouveler l’ORCMB ont toutes été évoquées lors des concertations mais quand on lit toutes les interventions, seulement les représentants des mosquées turques et albanaises ont défendu le système de délégation. Seule l’association dénommée « rassemblement des musulmans de Belgique » a rejoint cette position pendant le dernier colloque du 5 décembre pour proposer un projet qui allait dans ce sens et qui n’avait pas été soumis aux réunions de réflexion. Les autres propositions des autres groupements qui ont opté pour les élections semblent être ignorées. Une question demeure sans réponse à savoir que parmi les représentants qui ont défendu le système des élections, certains d’entre eux se trouvent en dernier ressort dans la commission de concertation élargie.

On peut en déduire que cette question de représentativité n’a pas fait objet d’un examen minutieux malgré qu’elle figure parmi les préoccupations premières des participants. Pourtant quand on examine les interventions de ces derniers, la question de représentativité, de diversité et de légitimité envers la base semblaient être une préoccupation importante qu’il faut envisager.

Quand on analyse la situation actuelle des communautés musulmanes, ce type de représentation par délégation ne peut être ni opérationnel ni souhaitable pour les raisons suivantes :

1. Les comités de gestion des communautés islamiques ne sont pas entièrement constitués. Il n’y actuellement que 65 communautés reconnues sur 308 réparties sur les 3 régions du pays : 5 à Bruxelles (dont 4 ont élu un Comité de gestion), 43 en Wallonie (dont 39 ont élu un Comité de gestion) et 17 en Flandre (dont 15 ont élu un Comité de gestion).

2. Beaucoup de mosquées n’ont pas été conviées à la concertation et beaucoup parmi celles qui ont été conviées, n’ont pas répondu à l’invitation.

3. L’obligation de s’unir avec d’autres mosquées pour se faire représenter par un délégué présente une difficulté majeure au niveau de l’organisation et de la garantie de la transparence, surtout que beaucoup de mosquées ne sont pas prêtes à partager le « pouvoir » qu’elles peuvent exercer dans la communauté et les nouveaux rapports de force qui peuvent être créés par ce système peuvent nuire à la cohésion de la communauté des fidèles.

4. Beaucoup de fidèles, surtout les jeunes de la deuxième ou de la troisième génération ne se reconnaissent pas dans le système de gestion de la mosquée qu’ils fréquentent. Les pères ou les grands pères étant les principaux pourvoyeurs de fonds dictent encore leur manière d’agir.

5. Beaucoup de fidèles fréquentant les mosquées ne désirent pas s’inscrire dans une liste par crainte d’être fichés.

6. Les mosquées ne sont pas toutes stables et représentatives des communautés locales dans lesquelles elles sont ancrées. Beaucoup d’entre elles font encore l’objet de lutte interne quant à la gestion et à la direction des affaires cultuelles.

7. Il y a des mosquées qui appartiennent à des minorités ethniques et si elles voudraient avoir leur propre délégué à l’assemblée générale, ce serai très difficile dans la formule proposée

8. Toutes les mosquées ne reflètent pas chacune la diversité sociologique, ethnique et idéologique des communautés environnantes : il y a des mosquées marocaines, turques, albanaises, etc. Les convertis, les jeunes et les femmes et d’autres minorités se verraient exclus par ce système.

9. Les mosquées d’obédience chi’ites ou d’autres sensibilités seraient exclues par le système de délégation

- « Composition de l’organe représentatif du culte musulman en Belgique »


Le deuxième point du projet aborde la composition de l’organe représentatif du culte musulman qui reposerait sur deux fondements : « la proportionnalité en fonction de la présence des musulmans dans les 3 régions, et la représentativité (minorités comprises). »

Il est prévu d’avoir un conseil général des 308 mosquées qui délèguent 51 délégués qui formeront avec 6 cooptés une assemblée générale qui désigne un Exécutif de 17 personnes.

De la sorte, on va tenir compte de la présence de tous les musulmans dans les 3 régions pour déterminer le nombre de représentants et non pas du nombre des communautés des fidèles.

Ainsi la Flandre qui compte 154 mosquées peut proposer 18 délégués et pour Bruxelles qui compte 50 mosquées peut proposer 20 délégués, de cette manière on arrive à 2 délégués représentant 17 mosquées au niveau de la Flandre et à 2 délégués représentant 5 mosquées au niveau de Bruxelles. De cette manière on se sert de toute la population musulmane pour déterminer le nombre de délégués mais on l’écarte pour proposer un système de représentation, provoquant ainsi un déséquilibre dans la représentation des communautés.

Dans l’hypothèse où l’élément ethnique va intervenir pour la sélection des délégués, le scénario suivant peut être envisagé en prenant comme exemple la région de Bruxelles :

Sur les 54 mosquées il y a :

- 37 mosquées marocaines

- 7 mosquées turques

- 2 mosquées pakistanaises

- 2 mosquées albanaises

- Le centre Islamique et 5 d’autres minorités éthiques (bosniaque, africaine,…)

Si on procède au regroupement de ces mosquées tel qu’il est décrit dans le projet, et en se basant sur des affinités ethniques et des projections plus ou moins convergentes lors des interventions de ces personnes dans les concertations, on peut imaginer le scénario suivant :

- 14 représentants des mosquées marocaines (37/5) * 2 = 14,8,

- 4 représentants des mosquées turques, albanaises et bosniaque (7 + 2 +1)/5 *2 = 4

- 2 représentants des autres mosquées des minorités (7/5) * 2 = 2,8

Quatre remarques s’imposent quant à cette projection :

- Il faut nuancer ce scénario par l’improbabilité que toutes les mosquées participent à ce système de délégation (soit par principe soit par sensibilité religieuse) surtout pour les mosquées dites marocaines dont la réalité est très complexe.

- La difficulté de trouver une formule de regroupement qui puisse satisfaire les mosquées des minorités

- Les mosquées dites marocaines sont fréquentées par d’autres communautés maghrébines et arabes mais le fait de ne pas avoir programmé la présence de ces dernières dans les concertations peut les freiner à s’engager dans le processus

- La situation particulière du Centre islamique qui touche une grande communauté hétérogène n’est pas prise en compte dans la représentation

- « Critères de désignation des membres »

7. Modalité de passage d’un organe à l’autre

8. Screening

9. Commission chargée de l’accompagnement de la mise en place de l’Organe Représentatif du Culte Musulman en Belgique

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